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L’île de la poudrière…

 

Jeudi 19 novembre 2020

Rade de Brest – 48°17’31.8″N 4°14’25.4″W

Cher journal,

 Aujourd’hui, pas de cap à l’Ouest, la mer d’Iroise me restera secrète. Des confidences historiques, la rade de Brest en regorge, et l’image que je m’apprête à réaliser va faire jaillir en moi un imaginaire vieux de trois cent ans…

 Ce matin, la mer est grosse, la mer est formée, et ce vent de noroît est parti… pour durer ! Nord Ouest, cap au Sud-Est, à la découverte de contrées lointaines, au confluent des rivières du Faou et de l’Aulne. Je franchis les passes du port du château à Brest alors que la nuit commençe tout juste à être chassée par l’astre solaire. La ville est confinée, mais les travailleurs œuvrent pour la plupart depuis la maison. Le port du château est vide d’âmes, drôle de période… Au loin, les bateaux gris décrivent déjà de curieuses rondes, dont seuls quelques officiers de Marine connaissent les destinées. Approchant l’île ronde à bonne allure, une embarcation de gendarmes maritimes s’approche pour voir si le travailleur de la mer n’est pas qu’un simple plaisancier ! Il faut croire que le bateau du photographe est connu dans les parages, ils s’éloignent rapidement vers l’île longue, sans demander plus d’explications que cela…

Le soleil commence tout juste à poindre à l’horizon. Le Ménez-Hom, du haut de ses trois-cent trente mètres d’altitude se dessine en ombres chinoises avec les Ducs d’Albe* en avant-plan. C’est beau, et je mesure la chance que j’ai d’être là. Je laisse l’école navale sur tribord et rapidement, j’admire le petit port du Tinduff à bâbord avant de m’engouffrer avec Sweetie V**** dans l’Aulne, direction Landevennec. J’ai en tête ces bateaux fantômes, ces bateaux gris débaptisés, ces bateaux en attente d’oubli, en attente de mourir définitivement. Mouillés dans ce qu’on nomme de manière pudique “Le cimetière des bateaux”, tout juste en face de l’île de Térénez (ou la presqu’île selon l’humeur de la marée). J’ai déjà vu beaucoup d’images, des vidéos façon “Urbex” non autorisées, ou des œuvres d’art temporaires tout aussi illégales à cet endroit. En somme, un lieu inspirant… mais un lieu à respecter ! Sans quoi, l’autorité maritime veillera à vous demander des comptes, et c’est bien normal.

Juste avant d’envisager mettre la barre à bientôt cent quatre-vingt degrés de ma route actuelle, fait rarissime si l’on suivait une route hauturière, j’aperçois cette petite île, l’île d’Arun*. Arun, Tibidy, Trébéron, autant de noms qui me font rêver, autant de noms en rade de Brest, et autant d’Histoire(s)…

Arun donc. 

Le soleil a commencé sa course quotidienne vers son zénith, tout du moins, le zénith Breton, qui ne sera jamais, au même moment, celui d’un Américain***. Le plan est simple. L’île est un sous-marin, et je vais tenter une photographie semi-immergée. Le coefficient de marée est de 94, vives-eaux ! Le jusant est déjà puissant, difficile de placer le bateau, le caisson étanche et les flashs tout en composant l’image à construire quand le vent décide d’être également de la partie. Un contre-courant décide de m’emporter en sens inverse de la logique de marée. Un courant logique en rade de Brest est un… oxymore ! Difficile de se placer, mais au bout d’une dizaine de minutes, c’est bon, l’équipage a compris, on tente à nouveau. Le soleil devient moins timide, il est temps de conclure. La fébrilité du photographe doit être communicative, et les oiseaux marins, que j’imagine être de simples goéls, sortent de leur sommeil en cris stridents. Je déclenche, les puissants flashs sous-marins révèlent une couleur bien inhabituelle de l’élément liquide… Comme si l’eau salée de rivière avait compris l’impérieuse nécessité d’être raccord avec le vert des pins maritimes. La photo est là, et le ciel laisse présager d’une matière des plus sublime à l’occasion de cette aurore si particulière.

Place à l’Histoire.

En faisant plus de recherche sur l’île de la Poudrière, on apprend qu’elle servait de stockage intermédiaire entre Pont-de-Buis et l’arsenal de Brest, trois cent ans en arrière. J’imagine les chaloupes transportant de la poudre à canons au levé du jour, direction la cité du Ponant… Pétard que ca devait être beau !

Vauban, encore lui !

Ré, Toulon, Rochefort, Camaret, bien sûr, Arun où l’île aux morts ? Partout où je découvre un lieu maritime, esthétique et chargé d’histoire, on retrouve Vauban. Arun n’échappe pas à la règle. Plus tard, la fonction de poudrière sera délocalisée à l’île aux morts à l’ouest, puis à la pyrotechnie Saint Nicolas du côté de l’Elorn, plus au nord.

Plongé dans cette image, je me réveille de pensées parties très loin. Heureux, je décide de rejoindre le sujet des bateaux gris agonisants. Ils sont à quelques encablures, et la lumière commence à être belle sur les coques sans vie… Je vais alors rencontrer un drôle d’oiseau des mers du Sud, un Albatros qui devait être jadis digne et fier en dessous des 50èmes sud… Mais ça, c’est une autre histoire !

*Construction située entre la pointe de l’Armorique et l’île Ronde en rade de Brest, sous forme de deux caissons béton géants destinés à accueillir le cuirassé Bismarck pendant la guerre. Il sera coulé au large avant de franchir le goulet de Brest

 **qui porte également le nom de Poudrière

 *** Afin d’éviter toute erreur astrologique majeure, au regard des gros-culs de Mickey présents en rad’ (et non en panne au bistrot) depuis des semaines 😛

 ****semi-rigide de type Zeppelin, outil primaire du photographe de mer !