– Chronique Maritime #3 –
– Chronique Maritime #3 –
Feux sur la Rade
Mardi 15 janvier 2019
Rade de Brest – 48°20’33.7″N 4°34’42.8″W
Cher journal,
L’heure bleue tombe… En fin observateur du fond de la rade de Brest, le pont de l’Iroise rougit de ses feux de tête, destinés à prévenir un éventuel aéronef évoluant imprudemment bas. Depuis 1991, il veille sur tous les mouvements de la pointe Bretonne, juché face au continent américain. Terre-Neuve plus précisément. Le pont Albert-Louppe, son aîné de 60 ans, résista à la modernité et resta en place, donnant aux ingénieurs un fameux casse-tête aérodynamique pour faire se conjuguer les deux édifices face aux caprices d’Eole. Sa silhouette, discrète, complète de ses pieds tout en rondeurs les haubans de son remplaçant. L’ensemble est unique, tout comme cette cité du Ponant qu’il rallie au grand sud.
L’heure bleue donc.
Voilà quatre heures que je patiente dans le froid, nous sommes en plein janvier. Le sous-marin nucléaire d’attaque Perle est en escale à Brest, son départ était prévu à treize heures. Des détails techniques qui m’échappent auront raison de la ponctualité espérée des autorités maritimes. Il fait froid, le petit vent de noroît gâte le plan d’eau de ces grains dont il a le secret. Entre deux nuages, les lumières sont vraiment belles. Je peste, il reste moins de trente minutes de soleil et mon shooting sera à l’eau ! Entre-temps, le ballet des bateaux pilotes me permet de patienter, mais aussi de me réchauffer. Courir après des gros bateaux réchauffe, surtout quand celui-ci fait 260 mètres de long. Le YM Evolution, un porte-container géant sous pavillon Taïwanais, succède au Widor, un petit cargo de 83 mètres. Je tente quelques photos au moment où le pilote grimpe à l’échelle, mais cette photo imaginée ne sera pas pour aujourd’hui. Refroidi par l’attente, je suis gauche question réglages, et le moindre tremblement ne pardonne rien quand vous utilisez des téléobjectifs à main-levée en mer… Il va falloir que je me concentre davantage si je veux réussir la sortie du sous-marin qui ne tardera pas à franchir le goulet, destination l’aventure d’une mission dont seuls quelques officiers connaissent les contours à bord.
Le SNA, ce couteau-suisse incroyablement guerrier !
Ce qui étonne avec un SNA comme la Perle, c’est d’abord de voir que c’est un tout petit bateau comparé aux SNLE géants. Comprenez bien le rapport d’échelle : 2400 tonnes contre 13 000 ! Ensuite, c’est de le voir … à Brest ! Quelques mois plus tard, j’allais avoir la chance de plonger à bord à Toulon et comprendre un peu mieux mon attirance pour cette incroyable machine, sa polyvalence, son équipage de passionnés et le côté totalement engagé de ses missions. Pour l’heure, c’est un face-à-face incertain qui s’engage. Le bateau prend du temps à s’équiper d’une longue antenne passive, sans doute capable de détecter tout un tas de sons et de mouvements sous l’eau. L’heure tourne, et mes photos à programme diurne s’éloignent peu à peu. Obligé de totalement changer mes plans techniques au dernier moment. Certains boîtiers photo sont plus à l’aise quand le jour disparaît petit à petit. Ca y est, le soleil vient de se coucher, et mon espoir d’image réussie est ruiné… C’était sans compter sur la magie de l’instant !
Magie des feux de navigation.
La photographie, c’est jouer avec la lumière. Elle est votre principale équipière, mais cette dernière n’en fait souvent qu’à sa tête ! Mais aussi jouer avec les lumières, qui deviennent ce petit détail galvanisant l’ambiance d’une belle photographie. Le sous-marin est libéré de son escorte primaire et le commandant a dû ordonner de pousser la machine, cap à l’ouest. Le bulbe d’étrave soulève une couche d’eau esthétique laissant pour trace un sillage immaculé d’écume. Je me positionne sans trop y croire, et d’un coup, la magie opère. Le bateau allume ses feux de navigation, cela me saute aux yeux derrière le lourd téléobjectif de 600mm (ou plutôt à l’œil droit !). L’attitude des marins juchés sur le kiosque est digne et magique, je crois qu’ils m’ont oublié l’espace d’un instant. Leurs silhouettes se dessinent à merveille, et je ne relèverai que plus tard ce magnifique bonnet à pompon, non réglementaire, qui pourtant assurera au cliché un marqueur de saisonnalité et une esthétique si particulière… Le bateau noir avance, je double, je triple la prise de vue. Elle succède à celle où le phare du Portzic, accompagné de ses cousines les grues du port, salue l’équipage.
La magie de l’instant.
J’ai beaucoup de chance que le programme ait eu 5h30 de retard. Le froid est totalement oublié et je pousse les gazs pour propulser Sweetie V à plus de 40 nœuds, mes yeux pleurent mécaniquement. Il faut que je puisse réussir l’angle ¾ arrière tribord, j’ai en tête de l’aligner avec la balise de danger isolé La Mengant. Cette dernière sépare en deux le goulet. On passe au nord… Pas le temps de penser à autre chose, ça ne va pas durer longtemps et l’heure bleue commence à ternir vers un bleu marine ! Ça y est, je coupe les gazs, je saisis mon matériel juché de manière totalement irraisonnable à mes pieds. L’angle est presque parfait. Seconde magie de l’instant, je découvre un feu, le feu arrière blanc de navigation. Je pense qu’il projette son signal lumineux sur 270°, et il donne à la scène le même petit plus que les feux verts et rouges côté proue… Je découvrirai un peu plus tard qu’il ressemble à une vieille lampe à huile de calèche ancienne, voyage immédiat pour le 18ème siècle ! Et pourtant, ce feu résiste à des profondeurs indécentes pour le commun des mortels.
J’oublie la photo un instant et salue fièrement l’équipage en me disant qu’ils ne découvriront pas les clichés tout de suite ! Mission accomplie pour moi, j’ai la chance de rentrer directement à la maison, quand nos sous-mariniers manqueront encore plusieurs semaines à leurs familles…
Cher journal, aujourd’hui la photo et la Marine nationale m’ont encore gâté de souvenirs incroyables !