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Méditerranée, octobre 2024. On retrouve sur le pont d’envol d’un porte-avions nucléaire des marins d’un genre particulier. De ceux qui voient la mer en trois dimensions. Ils chassent en meute pour orchestrer le déploiement des plus beaux aéronefs. Une ruche de près de deux mille personnes, hommes et femmes, dédiés à une sacrée mission, celle d’assurer le déploiement du Charles de Gaulle, un monstre d’acier de quarante-deux mille tonnes. Le bateau n’est pas seul, il évolue en groupe, on l’appelle le « GAN » pour Groupe AéroNaval. Des frégates et même des sous-marins rôdent dans le sillage du « grand Charles ». Chacun joue son rôle dans cette partition qui revêt des airs de symphonie.

Jour et nuit, l’activité bat son plein. Je retrouve avec plaisir l’équipage. Lors de mon premier embarquement en 2019, j’avais eu l’occasion de mieux saisir le fonctionnement de cette ruche. Pas simple de faire son chemin, ce sont des shooting photographique éreintants, mais aussi diablement excitants ! Jour et nuit descendre et monter des échappées escarpées, des sortes d’échelles qu’on descend à l’envers. On y croise toutes sortes de militaires. Des jaunes, des bleus, des verts, des kaki, des blancs, des marrons, des rouges… Ce sont, bien sûr, les couleurs de leurs uniformes de travail.

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Comme en 2019, je sais que je ne vais pas beaucoup dormir. Et comme la fois passée, je retrouve cette satanée lumière de Méditerranée, toujours propice à des séries en noir & blanc, toujours délicate quand on aborde la couleur. La seule « petite » différence par rapport au dernier embarquement est sur mes épaules. Mes « galons » ne sont plus, et il est inscrit « Peintre officiel de la Marine ». Je suis immensément fier de cela, et les regards régulièrement croisés sont interpellés et témoignent de ce statut si singulier.

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Ça y est, je suis équipé et je peux franchir la lourde porte qui mène au flanc tribord, à l’abri du « château », cette tour immense qui donne sa silhouette si particulière au porte-avion. Ouïe et vision sont obstruées par les « EPI », indispensables protections, il faut progresser sur un pont qui s’apparente à un monde parallèle, ouaté par la brise du large et par les odeurs de carburant; déstabilisant. Le monstre reste un bateau, et le tangage et le roulis sont permanents malgré les systèmes de stabilisation géants jouxtant les oeuvres-vives du colosse. En 2018, j’avais pu découvrir ses dessous dans la forme Vauban. Un vrai monstre…

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J’entends un bruit rauque, sourd, viscéral. C’est la mise en route du Rafale, des rafales. Très vite, le bruit devient aigu et la chaleur se fait sentir. Je reste concentré sur la mission photo. Pas simple dans cet univers si particulier et surtout si dangereux ! J’ai un ange gardien qui m’accompagne, alerte et bienveillant. Les avions commencent à se mouvoir et se présentent un à un sur la catapulte. Les marins du ciel sont organisés comme un orchestre. Chacun sa couleur, chacun son rôle. Plusieurs milliers de personnes sont au service d’une mission et d’une poignée d’hommes et de femmes, les pilotes. Du boulanger au mécanicien du banc d’essai, des timoniers au bosco, tout est dirigé vers l’activité « AVIA ». 

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Ça se précise, les « blancs » et les « verts » dansent autour des carlingues. Les « jaunes » sont prêts. Quelques gestes précis, des hochements de tête, une confiance partagée par la meute et c’est parti. Les dix tonnes du jet de combat sont propulsées de zéro à trois-cents kilomètres par heure en moins de… trois secondes. Je m’agrippe à mon boîtier photo, je ferme les yeux et baisse la tête vers le pont. C’est terrible toute cette puissance ! Les prochaines photos seront mieux cadrées. Avant sa majesté le « Rafale », il y a toujours le prince « Hawk-Eye ». Un drôle d’aéronef auréolé d’une soucoupe tournante et qui permet à l’équipage d’avoir une tour de contrôle mobile. Il est très esthétique, surtout avec ces deux grosses hélices en composite. Un régal pour la photographie. Pendant ce temps, les « marrons » et les « rouges » s’affairent entre les hangars situés à l’étage inférieur et les ascenseurs géants.

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Cet univers regorge de micro événements photogéniques. Jour et nuit, c’est un sujet infini qui s’offre au photographe. C’est également un sujet techniquement compliqué ! J’enchaine les séquences et les endroits, je gagne au moins trois jours grâce à ma connaissance préalable du bateau. La nuit cède sa place au petit jour, et l’activité remonte en puissance. Puis vient à nouveau la nuit, avec son lot de « hiboux », ces quelques pilotes capables d’apponter en pleine obscurité. Puis le jour. Et dire qu’ils vont vivre cela pendant quatre à cinq mois prochainement ! Je suis admiratif de tous ces gens qui donnent tant pour leur pays et profondément impressionné par notre savoir-faire. 

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Dernier petit matin pour moi. Accostage à Toulon, le mont Faron est dans la brume. Ambiance particulière, l’amiral trois étoiles débarque sous les coups de sifflets. Il a l’air satisfait de ce qu’il vient de voir ces derniers jours. Je rentre à Brest fatigué, mais très heureux de ce que je viens de vivre. Quelques photos sont dans la besace, elles seront en noir et blanc…

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