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Et si Brest m’était contée par des Peintres officiels de la Marine ?

Avant de venir y vivre pour mes études puis mon temps règlementaire dans la Marine, je ne connaissais Brest que par l’Ancre de Miséricorde de Pierre Mac Orlan ou par Prévert. Mais de ce Brest littéraire, à l’image renforcée par les tableaux du Musée de la Marine du Trocadéro, joli port de mer, Prévert l’a bien écrit : « il ne reste rien ».

Heureusement pour la nostalgie de l’histoire, Jim E. Sevellec nous a laissé au sein de son œuvre étonnante quelques dioramas qui pour moi fonctionnent comme les dessins à la craie de Mary Poppins : il suffit de plisser les yeux et sans même avoir à énoncer quelque formule magique de type « paré à virer ! », de se retrouver projeté dans une Brest aussi réelle que vivante.

Dans le Musée de mon enfance, le canot de l’empereur impressionnait par sa masse en hauteur dont on ne profitait que d’en dessous et le voici à flot, rentrant dans la Penfeld, pavillons claquant au vent : entendez-vous le bruissement des rames qui glissent au-dessus de l’eau ? Regardez mieux !

Dans le Brest de mes études, la rue de Siam n’avait pas encore de tramway mais avec Sevellec, on entend le trolley qui grésille tandis que la rue grouille de vie. Attention à vos pieds !

 

C’est la magie d’une œuvre d’art : elle vous envoie un petit signal que l’œil va interpréter, chacun à sa façon, pour réagir en mobilisant tous les sens. C’est ainsi que je vois le canot naviguer et non pas rester statique dans sa salle d’exposition, que je sens le goût du vent qui s’est engouffré de l’océan vers le Goulet et perçois l’oscillation de l’eau sous mes pieds.

Jim E. Sevellec a ce talent, un don qui lui offre des mains d’or. Observez bien : si chaque maquette parait pleine de détails incroyables, rien n’est réellement détaillé mais plutôt suggéré. Quand la moustache du soldat apparait manifestement, nul ne peut vraiment décrire son visage, il n’est que suggéré, exactement comme dans ses peintures à l’huile.

C’est le talent du peintre qui s’exprime ici en restituant une ambiance qui prime largement sur la perfection technique.

 

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Et pour y parvenir, Sevellec prolonge son diorama par une peinture : voyez-vous ce château de Brest et ses bâtiments mouillés à ses pieds, voyez-vous cette perspective montante vers le haut de Siam ? Le maitre nous offre ici un travail que ne renierait pas un photographe d’aujourd’hui : l’ouverture focale assure la mise au point sur le sujet principal, tout le reste n’étant que suggéré pour contribuer à la composition d’ensemble sans perdre l’œil. C’est exactement la technique utilisée en aquarelle : les détails sont là où l’artiste veut guider le regard.

Quand je vois un tableau de Jim E. Sevellec, j’ai envie de remonter mon col, je sens les camarades de bordée qui s’appuient contre moi car le vent est dans leurs voiles : c’est la Brest que je n’ai pas connue qui vit sous nos yeux !

 

Sevellec n’a pas été le seul à raconter Brest et à nous offrir une machine à remonter le courant du temps : autre témoin privilégié, autant par son talent que par son implantation géographique juste au-dessus de l’entrée de la Penfeld, Pierre Péron nous raconte l’histoire et la vie au travers d’une œuvre éclectique de peintre, dessinateur, créateur d’affiches, écrivain, cinéaste. Veillant sur la Tour Tanguy depuis son balcon, Pierre Péron a dessiné autant qu’il a respiré et à croire ses enfants son dernier dessin a précédé son dernier souffle. C’est ainsi qu’il a pu documenter Brest au jour le jour : la Brest d’avant la pluie, la Brest subissant « cette pluie de fer, de feu d’acier de sang », le « rien » qu’était la Brest qui restait après l’orage, la Brest qui s’est relevée pour redevenir « ruisselante ravie épanouie ». Avec Pierre Péron s’établit un trait d’union dans plusieurs phases de l’histoire brestoise à même de combler une bien légitime curiosité.

 

Le nom de Pierre Péron a été donné à un charmant square près de la Tour Tanguy qu’Anne Smith désigne comme l’un de ses lieux de prédilection à Brest aujourd’hui. Elle aussi connait particulièrement bien Brest pour y avoir longuement vécu et elle aussi nous raconte cette ville, mais sous un angle dont seuls les ouvriers des chantiers navals peuvent d’ordinaire profiter. Pour Anne Smith, un bateau est beau qu’il soit sur l’eau ou qu’il soit en cale sèche, dégoulinant de rouille, nu de sa peinture décapée, il est quoi qu’il en soit imposant.

Les peintures d’Anne Smith du fond des cales de radoub avec ces lignes surplombantes des coques m’évoquent ce temps désormais révolu du canot de l’empereur sous les frondaisons du Trocadéro, trônant sur son socle et dont on admirait essentiellement la carène. C’est beau aussi une carène, promesse de navigations futures quand on la caresse de la main en tournant autour.

Anne Smith nous parle d’une Brest qui bruisse, qui cogne, qui meule, qui sable et qui décape, une Brest qui vit même sous la pluie, « cette pluie sage et heureuse, sur des visages heureux, sur cette ville heureuse ; cette pluie sur la mer, sur l’arsenal, sur le bateau d’Ouessant ».

Il est encore un autre peintre officiel qui lui aussi raconte Brest, Brest où il a jeté son ancre parce que pour continuer plus loin il lui aurait fallu un bateau qu’il n’avait pas encore, Brest du côté de sa rade et de tous ses occupants, Brest du côté du Goulet et de ceux qui s’en vont soit discrètement soit flamboyants et même Brest du côté du ciel et des marins qui se sentent pousser des ailes. J’ai connu Ewan autour d’une aquarelle qui s’est faite fille d’une de ses photos du Charles de Gaulle quittant son escale brestoise juste avant que la France ne se replie sur elle-même dans l’hiver du confinement printanier. Dans les photos d’Ewan, Brest est un décor et un environnement plus qu’un sujet mais pour un marin, la rade, le Goulet et ses approches sont des prolongements naturels de Brest pour en faire un tout indivisible.

Bien sûr Ewan s’est fait un nom avec sa série de clichés semi immergés mais l’aquarelliste que je suis voit aussi du peintre dans ses photos et même, compliment suprême ! de l’aquarelle. Après tout, un philosophe en chambre noire avait un jour affirmé qu’en chaque photographe il est un peintre qui sommeille. Parfois le photographe jouant avec la lumière la capture diaphane sur la mer pastel avec pour seul repère à défaut d’horizon visible ici une balise, ici un voilier encalminé : ce n’est plus une photographie que j’y vois mais une aquarelle, tout en douceur, tout en subtilité. La lumière légère d’un simple lavis qui ne draine que peu de pigments de couleur.

 

La Brest que je n’ai pas connue et dont il ne reste rien, la Brest qui s’est métamorphosée, au long de l’histoire la ville qui vit est une source inépuisable pour le talent d’artistes qui ont calé leur souffle sur la respiration de la mer, dont les œuvres déclinent une grammaire qui leur est propre : sujet, verbe, compliment !

 

 

« Il pleuvait sur Brest ce jour là » – Aquarelle sur papier Torchon Arches – 2023

Axel Pivet est aquarelliste reporter, avocat répondant au nom de Croque-maître