Cette semaine, je vous propose de découvrir les secrets d’un shooting singulier, en tête à tête avec une intimidante demoiselle anglaise dénommée le Queen Mary II.
J’étais venu à sa rencontre au fond du bassin 3 à Brest, à l’abri duquel la « Lady » peaufinait son entretien hivernal. Ayant initialement prévu un simple repérage, j’avais emporté avec moi le minimum de matériel. D’habitude, pour travailler ces sujets en « nature morte », j’utilise des flashs studio, permettant de modeler la lumière, la matière et de sublimer les couleurs. Ce jour-là, je les avais laissés derrière moi.
Et puis il y a eu ce moment magique, celui que l’on appelle en photo l’instant décisif. Une magnifique lumière est venue se déposer sur la proue du bateau. L’angle était dingue, et l’approche d’une incroyable beauté graphique. J’ai shooté, en me disant que je reviendrais plus tard avec mes flashs. Je suis effectivement revenu à plusieurs reprises, mais je n’ai jamais pu retrouver cette lumière et cette pureté de l’instant. Lorsque l’on connaît l’histoire de cette photo, il est intéressant de constater que c’est elle qui a été choisie pour la couverture du livre « Carènes, Acte II »…
Ce visuel peut être interprété de bien des manières. Avec ses lourdes chaînes, on a l’impression que le bateau pleure ! Je reste fasciné par la lumière qui s’en dégage. Ces jeux de contrastes mettent en valeur la couleur de la coque. Pour l’anecdote, cette dernière a été peinte avec un gris couleur pantone déposé par la Cunard et nommé le Federal Grey. Quant à la peinture rouge du nez, qui est le bulbe du bateau, il s’agit d’une peinture latex de haute technologie conçue pour accélérer la glisse au contact de l’eau.
Je tenais également à vous dévoiler un secret d’édition : sous le début de la chaîne à tribord (à gauche lorsque l’on regarde la photo de face), vous pourrez apercevoir des éléments d’impact et de raclure de chaîne sur la coque. En travaillant avec mon imprimeur, nous avons transformé ces aspérités en matière négative, que nous avons pressée dans les plaques qui ont servi à imprimer le livre. Ces petites imperfections ont été reproduites directement en relief sur la couverture du Coffret Collector qui accueille l’ouvrage, lui conférant ainsi une autre dimension.
Ce portrait vient ainsi rejoindre d’autres natures mortes classées dans la série des « radoubs ». Entre deux shootings de mer engagés, j’adore me poser avec mes flashs et travailler à la chambre numérique Phase One. Cet exercice permet de réfléchir différemment à la lumière, aux angles, à la composition des images, avec une approche plus graphique. Cette série a démarré avec la frégate anti sous-marin Le Primauguet, sur laquelle j’ai pu composer à partir de la forme des hélices, la matière et le côté un peu jaune / rouge chatoyant qui se dégage de la coque (antifouling). J’ai poursuivi ces shootings au gré des opportunités. Le face à face avec le Bachir, un méthanier algérien, figure parmi mes premières images à avoir été exposé en galerie d’art.